mercredi 23 octobre 2013

Leaders humanistes et circuits de la récompense



Leader et humanistes. Combien de fois, à la juxtaposition de ces deux notions, entendons-nous objecter : « Mais c’est impossible, et incompatible dans une entreprise ! ». Il semble que cette conviction soit assez partagée, parfois bien ancrée. Lorsque c’est le cas, il peut s’ensuivre un « effet Pygmalion » qui vient automatiquement créer les conditions de réalisation de cette conviction. Ainsi sommes-nous amenés, dans les accompagnements vers une culture humaniste dans l’entreprise, à travailler avec les personnes afin que cette croyance ne devienne pas limitante. L’histoire nous a d’ailleurs démontré que l’alliance du leadership et de l’humanisme peut soulever des montagnes : Ghandi, Martin Luther Luther King, Nelson Mandela ne sont-ils pas les éminents représentants de la puissance d’action de cette alchimie ?
Des personnages emblématiques, certes, mais quid des leaders humanistes dans l’entreprise ?

Le pari peut paraître plus osé et le concept antinomique dans l’entreprise... à première vue.

Martin Luther King

Pourtant, en y regardant de plus près, il ne manque pas de patrons et de managers à la fois leaders et humanistes. Moins emblématiques sans doute, œuvrant en toute modestie dans des PME, ils sont rarement suffisamment médiatiques pour que le succès de leur leadership humaniste dépasse les murs de leurs entreprises. Néanmoins, quelques uns marquent ou ont marqué notoirement les esprits par la pratique d’un management humaniste. Parmi eux, quelques exemples : Jean-François Zobrist (Société Favi), Christian Boiron (Laboratoires Boiron), Olivier Lecerf (Société Lafarge – Olivier Lecerf est décédé en 2006), Phu Tran Van (Groupe Corèle international), Romary Sertelet (Groupe KME). Bien d’autres mériteraient d’être cités, célèbres ou anonymes.

La force et les modes d’action des leaders humanistes

Avec l’émergence des savoirs partagés, la tendance collaborative due aux réseaux sociaux, la poussée de la génération Y et tout simplement l’évolution des consciences, les processus autoritaires et hiérarchiques s’essoufflent. Ceci étant, il est des structures (citées notamment au paragraphe précédent) où d’autres leviers de leadership sont à l’œuvre. En fait, pour comprendre ce qui fait la force d’un leader, et notamment d’un leader humaniste, il faut s’intéresser aux collaborateurs : ce qu’ils disent, ce qu’ils font, et aussi quelles zones cérébrales sont activées lorsqu’ils sont en présence de pratiques managérialeset relationnelles humanistes. Et l’on constate que dans ce cas, les actions et démarches permettent de solliciter, dans les cerveaux des collaborateurs, plutôt les circuits de la récompense, les zones préfrontales de la projection, de la réflexion, du sens. Et le moins possible les circuits d’évitement, de lutte ou de soumission.

5 Jean-François Zobrist société Favi
Il y a matière à de nombreuses pages pour expliquer et neuro décoder les leviers d’action des leaders humanistes et les circuits cérébraux qui sont sollicités. Ce que l'on constate, c'est que les leaders humanistes comprennent (intuitivement ou par l'acquisition de savoirs) les mécanismes du cerveau humain. Ils s'adressent à toutes les aires cérébrales de leurs collaborateurs (et non seulement aux zones limbiques) de manière appropriée pour en favoriser l'activation utile et apaisée. Citons simplement cinq éléments-leviers parmi tous ceux que nous pourrions longuement évoquer et décrire.


  • La confiance : rassurer les profondeurs du cerveau (les noyaux amygdaliens qui gèrent les émotions et surtout la peur). Permet d'éviter la perte d’énergie et de temps dans les conflits, et de favoriser le développement de l’autonomie.

  • L’encouragement des liens sociaux et de la solidarité : plutôt que la concurrence interne. La collaboration est tout autant inscrite dans la biologie et l’évolution humaine que la compétition. Et il est au final plus utile et plus durable, pour l’humain comme pour l’entreprise, de favoriser ce levier solidaire.
  • L'enthousiasme : qui alimente la projection du résultat, se transmet par les neurones miroirs et nourrit l'action/la motricité.

  • Une exigence appropriée : qui s’adapte au niveau de compétence mais qui, surtout, encourage l’évolution des compétences et l’apprentissage, pour lesquels est programmé le cerveau humain.

  • Une stimulation de la créativité individuelle et collective : parce que l’intelligence humaine progresse et que l’entreprise devient/reste performante grâce à ses potentiels créatifs. Et parce que la créativité active fortement les circuits de la motivation intrinsèque et de la récompense. A ce titre, la stimulation créative est un fort levier d’action des leaders humanistes.


Les leaders influencent le devenir d’une société ou d’un groupe par leur personnalité, valeurs, comportements, compétences, charisme, buts… et l’inter relation avec leur(s) équipe(s). Dirigeants ou managers, les pratiquants de l’humanisme en entreprise ont, comme les autres, des objectifs à atteindre, un contexte concurrentiel et d’incertitude, des délais à respecter et des équipes à animer. Mais leur idée force est qu’ils considèrent que les collaborateurs sont LE moteur de l’entreprise. Que la santé et le développement de l’entreprise sont liés à la santé (au sens holistique du terme) et au développement humain des collaborateurs. Ainsi humains et entreprise sont-ils pris en compte dans une dynamique systémique et holistique. D’où un management participatif plutôt qu’autocratique, une vision plaçant l’humain et l’éthique au cœur des décisions stratégiques.

6 - Phu Van Tran - Société Corèle


Intérêts  de l’entreprise et des collaborateurs sont liés. Par exemple, santé et développement de l’entreprise, sont directement liée à la santé des collaborateurs. Arrêts de travail et accidents des employés sont des indicateurs factuels de mauvaise santé (physique ou psychologique) ou protestataires qui impactent soit directement soit par des coûts indirects ou cachés la performance de l’entreprise. Mais y a-t-il partout une conscience de ce lien direct ?...

Depuis une quinzaine d’années, les collaborateurs ont changé. La génération Y a ouvert la voie et livre l’expression la plus perceptible de cette évolution. Les collaborateurs, s’ils n’ont pas de pouvoir hiérarchique, disposent d’un fort pouvoir d’inertie (présentéisme) et de résistance passive. Ils  sont souvent moins enclins à « obéir » aveuglément sans comprendre le SENS des décisions et consignes. 

4 La source du bonheur est dans notre cerveau
Un grand nombre d’études ont été menées depuis une dizaine d’années sur la psychologie des collaborateurs et des « suiveurs ». Citons par exemple les travaux du spécialiste britannique de psychologie des organisations Adrian Furnham ou encore cette étude allemande conduite auprès de 12.500 employés3. Tous ces travaux convergent vers des critères attendus par les collaborateurs de leurs managers et leaders. Notamment, pour ne citer que cela, l’orientation vers l’avenir et la capacité à inspirer les autres : en cette période d’attentisme et de pessimisme exacerbé, il y a matière à réfléchir sur la propension des dirigeants à se projeter, à penser l’avenir et à construire une vision, donc à entraîner des équipes dans une aventure… Mais ce qui est attendu aussi des leaders (et présent chez les leaders humanistes) : l’intégrité, la confiance mutuelle, la bienveillance.

Les luttes de classes ont encore cours il est vrai. Dans les structures où la vision des intérêts communs n’est pas comprise ou intégrée par les équipes dirigeantes, par les collaborateurs, ou par des instances syndicales. L’entreprise qui, au travers des individus dirigeants, fait évoluer son niveau de conscience et agir son cortex préfrontal (oui, l’entreprise a un cerveau) sort d’une vision McGrégorienne du collaborateur (tayloriste) de type X¹. Ses leaders entrent alors dans des modes relationnels plus coopératifs, responsabilisants et intra-preneuriaux plutôt que coercitifs. Le leadership humaniste s’inscrit dans cette vision de  la collaboration. Les études de performance sur le terrain et les études menées auprès des collaborateurs2 démontrent qu’un management et une culture d’entreprise humanistes sont plus efficaces à terme qu’une pratique autocratique. Cela suppose, bien sûr, de s’inscrire dans une vision à long terme de la collaboration et de privilégier la valeur travail à la valeur exclusivement financière. Par ailleurs, la collaboration transversale de plus en plus pratiquée induit de facto des modes de travail plus coopératifs que hiérarchiques.

Pour aller plus loin, cliquer ici



2 Par exemple : « Gestion des ressources humaines conforme à la philosophie humaniste et motivations au travail : exposé théorique et résultats empiriques » - Stéphanie ARNAUD - Jean-Louis CHANDON ; Centre d’étude et de recherche sur les organisations et la gestion, Université d’Economie et des Sciences d’Aix Marseille Paul Cézanne, Institut d’administration des entreprises.

3 James Kouzes et Barryl Osner (psychologues de l’Université de Santa Clara, Californie)


Etude 2006 de l’Université de Hambourg
4 "La source du bonheur est dans notre cerveau" -  S'appuyant sur les recherches les plus avancées en neuropsychologie, et en particulier sur les travaux de Jacques et Fanny Fradin (disciples de Laborit), Christian Boiron s'élève contre nos idées reçues  sur le bonheur. Propre à l'espèce humaine, le bonheur n'est pas le fruit de la chance ou du hasard.

5 Jean6François Zobrist société Favi :http://www.piom.lu/francais/jean-francois-zobrist.html 
6 « Faire repartir la France et l'Europe : La démocratie volontaire »